Son histoire

L’histoire d’Haïti est un séisme permanent

Par Jean Matouk | Economiste | 15/01/2010 | 18H21 – Rue89

 

carte d'Haïti

Depuis des décennies, l’île d’Haïti ne défraye l’actualité que par de terribles nouvelles. Elle vient de subir, comme une fois par siècle un séisme majeur. Mais, comme les ouragans, les conséquences humaines sont bien pires qu’ailleurs. Pourquoi ?

Parce que les institutions d’Etat sont « vides », incapables de construire et entretenir les infrastructures. L’aide internationale importante que le pays a reçu s’est évaporée en très grande partie. Si Haïti, est « maudite » c’est d’abord sur le plan économique et social.

L’histoire chaotique de l’ancienne « Perle des Antilles »

Autrefois, cette « perle » du Royaume enrichissait la France. En 1804, elle obtient son indépendance par la lutte et en 1825 par le droit, contre le paiement de 150 millions de francs or, ce qui l’épuise économiquement.

Second pays indépendant après les Etats-Unis, mais première « République » -« nègre » de surcroît- elle est boycottée très longtemps par les puissances monarchiques « blanches » et coloniales.

Elle est surtout dès sa naissance, atteinte d’une pathologie sociale qui pèsera sur toute son histoire : l’opposition entre les libres et affranchis. Ceux qui ne veulent que l’indépendance, et les esclaves qui acquéraient petit à petit la liberté.

Une série de dictatures sanglantes

Toute sa vie politique au XIXe et début du XXe est violement secouée par cette opposition. Cela se traduit par une succession de dictatures sanglantes.

Réoccupée par Haïti en 1822, la partie ouest de l’île se soulève avant d’être recolonisée par l’Espagne en 1861. C’est finalement en 1865 qu’elle gagne son indépendance. Son évolution économique est placée sous tutorat espagnol puis américain (bien plus favorable).

Dictature et corruption, mamelles de l’histoire haïtienne

A l’Est de l’île, Haïti poursuit, son chemin politique chaotique au XXe siècle, comme l’a remarquablement décrit Roger Gaillard dans « Les blancs débarquent ».

En 1915, Haïti est envahie par les Etats Unis. L’occupation va durer 17 ans, jusqu’à la dictature de Duvallier Père, élu par la majorité « noiriste », c’est-à-dire héritière politique des anciens esclaves. Il veut détruire la bourgeoisie « créole », notamment celle qui faisait la richesse des villes côtières.

A la dictature du « Papa Doc » succède celle plus « institutionnelle » mais tout aussi brutale, du « Baby Doc », dont le gros du corps électoral était évidemment lui aussi « noiriste ».

A la dictature du fils succéda celle plus « institutionnelle » mais tout aussi brutale, du père Aristide, dont le gros du corps électoral fut évidemment lui aussi « noiriste ».

Mais cet antagonisme politique séculaire a eu ses milliers de reproductions « fractales » dans les entreprises, les organisations, les communes.

Des rapports « maître-esclaves » qui pèsent encore aujourd’hui

L’esclavage, par effet d’hystérésis, n’a pas disparu des têtes : les rapports d’autorité ou de subordination sont mal vécus. L’opposition « maître-esclave » pèse encore -même entre « afro-antillais »- comme une référence permanente.

C’est évidemment un obstacle majeur à l’investissement donc au développement économique. Les « gros mangeurs », bourgeois de Port-au-Prince, comme les « gros nègres » des campagnes, ont sous ce prétexte pris l’habitude de n’investir que dans des entreprises immédiatement et fortement rentables.

Ils se taillent par une corruption générale, des rentes de monopole à l’importation et de distribution du ciment, de l’huile, du sucre blanc, des semences et échappent évidemment, à tout impôt.

Pas d’impôt, donc pas d’Etat. Pas d’instruction publique ?

La fragilité des bâtiments pendant le séisme a reflété cette grossière cupidité. Construits hors de toutes normes, avec de mauvais matériaux. Il y a deux ans déjà une école de Nerette s’était effondrée, hors de tout séisme, tuant une centaine d’enfants.

Université et système de Santé en loques. L’aide publique internationale est systématiquement détournée. Des routes sont payées plusieurs fois. Seules fonctionnent, avec de petits « écolages » les institutions scolaires, religieuses ou d’ONG.

Fuites des élites intellectuelles

Enfin, dernière caractéristique très handicapante : les élites intellectuelles ont souvent quitté Haïti plus ou moins durablement et/ou se sont tenues à l’écart de la politique. C’est le cas des René Depestre, Lionel Trouillot, Dany Laferrière, Dany pour ne citer que des écrivains actuels remarquables.

Ils ont fui « les tontons macoutes ». Aujourd’hui, ils sont suivis d’innombrables médecins et cadres divers qui ne trouvent évidemment pas l’emploi correspondant à leur savoir. Les pauvres quittent d’ailleurs aussi l’île, dans des embarcations de fortune, pour les Antilles françaises.

Une ferme tutelle internationale pourrait être une nouvelle chance

Face au nouveau séisme majeur, la communauté internationale se mobilise. Comme, en 1994, lors du retour d’Aristide, comme après lesouragans et comme la crise alimentaire de 2008 ! Obama et le FMI viennent d’annoncer 100 millions de dollars chacun.

Mais, si ces sommes doivent transiter par les voies publiques, autant dire qu’elles s’évaporeront comme les autres. L’expérience du Kosovo a montré les limites d’une tutelle internationale, mais il semble que ce soit la seule solution.

Une tutelle qui assure directement la maîtrise de la reconstruction des édifices publics, avec l’appui d’ONG. Une tutelle qui créé de toutes pièces un système scolaire gratuit, avec un encadrement de l’Unesco.

Une tutelle qui installe des sources nouvelles d’énergie non polluantes. Une tutelle, enfin, qui relance sans intermédiaire une agriculture vivrière et un reboisement, capables de ramener nombre d’habitants des bidonvilles de Carrefour ou la Cité Soleil vers les normes.

De telles décisions pourraient transformer ce séisme en début de renaissance attendue depuis…. deux siècles.